L'estime de soi, la mécanique quantique, le poids des idéaux, le pragmatisme du quotidien, la fin du monde, l'automatisation du travail, la techno berlinoise, le mensonge, la confiance. C'est au bout de la nuit californienne sur le chemin de ces thèmes et de ses courses que conduit Lina, employée du service de VTC Neo Cab et héroïne du titre éponyme développé par le studio Chance Agency.
Difficile d'écrire sur Neo Cab et cela pour deux raisons : jeu narratif qui peut se compléter une première fois en environ cinq heures, dévoiler et décrypter ce récit de disparition, composé de plusieurs histoires incarnées par les différents passagers, c'est prendre le risque de déflorer le mystère et son atmosphère. La deuxième raison, c'est qu'on ne parle pas forcément le mieux de ce pour quoi on est tombé amoureux et Neo Cab est un véritable coup de coeur.
Savy en dépens
On y incarne donc une jeune femme, Lina, conductrice Neo Cab fraîchement débarquée à Los Ojos, métropole futuriste fictive de Californie, dans laquelle elle fait figure d'exception. En effet les véhicules sont désormais autonomes, propriété de la méga corporation Capra qui fournit aussi à la population ses stations service, ses hôtels, ses comptes bancaires, à peu près tout en fait, dans une situation de monopole absolue et de domination insidieuse totale, en écho avec le réel de manière assez subtile pour être réussie. Virée de chez Capra, Lina retrouve dans cette nouvelle ville, Savy sa meilleure amie, perdue de vue il y a quelques années en mauvais termes. Cette dernière lui offrira un bracelet Feelgrid, une nouvelle technologie permettant par un code couleur d'exprimer aux autres comme à soi ses sentiments. En gros, vert pour le bien-être, rouge pour la colère, bleu pour la tristesse, jaune pour l'excitation et toutes les nuances chromatiques qui vont avec. En jeu, l'état émotionnel et donc la couleur du bracelet influeront sur les répliques proposées lors des discussions avec les différents clients et constituent une indication sur la tournure à venir de la conversation. Si la conséquence des choix sur le récit sera finalement assez limitée afin on l'imagine de conserver une intrigue cohérente, l'arrivée importe moins que le chemin emprunté.
Servile le ciel de Californie
Car en effet, dans cette Californie d'anticipation, se mélange un design et des thèmes cyberpunk à des confessions sur la banquette très introspectives, pour la grande majorité en relation avec l'intrigue en fil rouge. La force de Neo Cab réside dans une mise en scène minimaliste mais soignée et dans son écriture d'une grande intelligence, portée par une adaptation française exemplaire, bien supérieure à un titre récent au contexte similaire tel que Night Call. Le cycle des nuits de Lina est toujours le même entre recharge de son véhicule électrique, prise en charge des clients et nuits à l'hôtel. Mais chaque rencontre constitue une conversation et une réflexion pertinente sur des questionnements personnels, profonds, en miroir avec des problématiques actuelles passionnantes et complexes. Un niveau d'écriture qui propose une véracité telle qu'on est ébranlé face aux sentiments provoqués par les différentes personnalités rencontrées, entre affection, amusement, colère et stupéfaction face aux différentes situations induites par toutes ces histoires personnelles qui révèlent autant sur nous-mêmes que sur le monde dans lequel on vit et surtout, celui à venir. Neo Cab est la formidable démonstration de la puissance narrative du jeu vidéo lorsque celui-ci est utilisé comme vecteur de réflexion sensationnel, envisagé comme un objet politique à travers un équilibre parfait entre le fond et la forme.